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L'Empreinte

 

Une brume épaisse et huileuse stagne sur le port. Je ne peux détacher mes yeux de cette masse blanche, presque lumineuse. Etrange prélude en vérité puisque nous sommes en plein été... Mais je sais, malheureusement, la douce ignorance m'a à tout jamais quitté. Peut être le brouillard était-il le rappel de ma nouvelle sapience. Qui peut dire de quoi demain sera Fait ?

J'étais parti d'Ecosse par le premier Steamer en route vers la Nouvelle-Angleterre, à la suite d'une lettre de l'oncle Joshua. Le patriarche, dernier rejeton des Ashton, me réclamait d'urgence auprès de lui. La traversée s'effectua sans autre problème que mon aversion pour l'élément salé.

J'arrivai, avec émotion, en vue de la Cité de mes aïeux. Les souvenirs d'enfance firent de nouveau surface, de plus en plus précis, à mesure de l'approche du navire. Nous accostâmes le long des quais. Je descendais enfin, ravi de me retrouver sur la terre ferme. Une vieille voiture de Maître m'attendait là. Je reconnus Marcus le vieux serviteur noir. Il tenait d'ailleurs plus de l'homme de confiance que du domestique.

Un large sourire m'accueillit de suite :

- le jeune Drew murmura-t-il, les yeux embués de larmes. Si longtemps, oui!

Une large barbe blanche adornait sa face; oui trop de temps s'était écoulé depuis mon enfance, les ans avaient consumé sa jeunesse. Je m' assis à ses côtés. Combien de parties de pêche avions nous faites ensemble ? Nul ne le sait. Touché par ma venue, il se mit en veine de confidences, me racontant brièvement les ennuis du vieux Josh et la vilaine tournure des événements depuis que la missive m'était parvenue. Il avait terminé de ruiner les maigres biens familiaux dans une quête qui, d'après Marcus, lui avait ôté le peu de raison que la faillite lui avait laissé. Nous approchions de l'ancestrale demeure de style victorien. Au premier abord, je m'attendais à trouver les prémices d'une décadence annoncée. La scène fut étrange et déconcertante, les bâtiments semblaient avoir conservé leur aspect d'origine. Nous arrivâmes devant le perron, dont la porte s'ouvrit de suite. Une longue silhouette décharnée fit son apparition :

- Oncle Joshy m'écriais-je.

L'ancien poussa un juron tonitruant, et me gratifia d'une solide accolade.

- Mon garçon, je savais que tu viendrais, ainsi tu t'es enfin décidé à quitter les Highlands ?! Bien, fort bien! Enfin quelqu'un à qui me confier. Le vieux singe avait pourtant autre chose en tête, et point de sénilité la dedans.

- Le souper est à 6 heures s'esclama-t'il joyeusement, puis il disparut prestement.

A l'heure dite nous nous rendîmes à la salle à manger. Avec le temps les meubles avaient pris une couleur d'ébène. La patine noirâtre semblait avoir absorbé toute chaleur de la pièce. Une forte humidité s'exhalait de celle ci. Comme pour m'éviter le moindre tracas, Marcus arriva en trombe pour ouvrir les larges

baies donnant sur le parc.

- Curieux ? hein Drew ? C'est ainsi depuis le retour de M'sieu Joshua de la Miskatonic University.

Le repas se déroula dans une ambiance de sérénité retrouvée, l'oncle semblait plus calme que lors de nos retrouvailles. Malgré tout, il scruta le moindre recoin de la pièce de manière hallucinante. Celle ci, une fois débarrassée de son humidité, n'en gardait pas moins un aspect inquiétant, malsain. Nous passâmes au salon puis dans la petite véranda qui le complétait avec élégance.

- Si tu veux un Brandy, Andy ne te gêne pas pour moi.

Sans attendre il se versa une grande rasade de rhum, qu'il avala aussi sec, louchant déjà sur le bourbon qui lui faisait signe. Quelque peu éméché il me proposa d'aller voir ses travaux dans l'observatoire. Nous allâmes vers la principale curiosité une tourelle clochetonnée , percée à mi-hauteur de faîtières de verre coloré élégamment ciselé. Puis le cher excentrique déverrouilla la lourde porte. je pénétrai dans une vaste bibliothèque circulaire. De vastes rayonnages s'enroulaient sur près de trois étages. C'était là le saint des saints, la quintessence du savoir Ashtonien, et cela depuis des générations. Je retrouvais même l'œuvre du cousin Clark, dont les écrits vénéneux avaient peuplé mon adolescence. Du doigt le vénérable Loup de mer me fit signe de le suivre :

- Par ici petit. Là le plancher avait été soigneusement enlevé laissant apparaître le dallage : une lourde trappe de chêne apparaissait au milieu du pavement. Etrange hublot, puissamment ferré, dont un volumineux cadenas interdisait l'accès. L'oncle sortit de sa poche un espèce de diapason et le fit tinter. Comme par enchantement, la trappe disparut laissant place à un escalier dont les degrés de pierre s'enfonçaient dans l'obscurité. Munis tous deux d'une lampe nous descendîmes précautionneusement. Les marches suintaient d'un lichen spongieux, aux reflets vaguement luminescents. La porte, devant nous, de facture résolument moderne, contrastait singulièrement avec l'ambiance des lieux. Un signe cabalistique trônait en son centre, sorte d'étoile à cinq branches. Joshua se signa, babilla de manière incompréhensible, et poussa l' huis.

- Jeune homme, sache-le, notre famille a bien d'ignobles secrets, notre tâche est sans fin.

- Nul repos en Mogrode-Nasfodèlius, "Yokken shudle Mel" marmotta-t'il ensuite . Je reconnaissais le dialecte si particulier aux miens. J'avais toujours pris celui-ci pour une extravagance de famille et l' appris plus par jeu que par nécessité réelle. Joshua pénétra dans la chambre secrète : L'éclairage venait par un tube de verre vertical sortant de la voûte. La pièce disposait d'une table encombrée de livres anciens. Derrière celle-ci, un véritable bric à brac d'alchimiste. Tout ceci aurai pu sembler comique sans, à l'autre extrémité du labo, un inquiétant bassin rectangulaire rempli d'un liquide ambré. Le cher homme m'invita à plus de curiosité.

- Approche Andrew, approche.

Puis il me tendit une sorte de masque respiratoire. Au dessous du bain jaunâtre une ouverture sombre et rectangulaire béait. Elle partait en pente douce vers des profondeurs abyssales. La scène se désagrégea, je fus alors pris de vertiges,..Si tu veux un Brandy, Andy ne te gêne pas pour Moi..."Yokken shudle Mel"...sorte d'étoile à cinq branches...des profondeurs abyssales, puis perdis connaissance.

 

Je me retrouvai, hébété, un verre à la main, dans la véranda.

- Hé garçon, un autre Brandy ? Groggy, je secouais la tête, comme qui dirait sonné par un uppercut. L' Oncle écouta mon histoire et prétendit ne rien y comprendre.

- La bibliothèque ? Elle est fermée depuis des lustres, une trappe ? Allons petit, l'tord-boyaux ne te réussit vraiment pas ! Il coupa là, incrimina la chaleur et me dit d'aller me reposer.

Tard dans la nuit, je fus réveillé par un hurlement terrifié, suivi d'un grotesque coassement. Je me précipitais vers la source des beuglements :

la chambre de Josh. La porte était largement ouverte. Le logement n'était plus qu'un gigantesque capharnaüm. Le vieillard s'était véritablement bien battu, stimulé par une terreur aveugle et sans limite. Nous avons fouillé, retourné les moindres débris qui jonchaient la pièce. Hélas ! peine perdue, nul mortel en ce lieu. Les meubles éparpillés aux quatre coins dégoulinaient de bave, le plancher lui même était recouvert d'une sorte de mucus gluant. Le reste de la nuit ne fut que conjectures, faute de sommeil.

Au matin je décidais d'aller à la Miskatonic University. Le Doyen Ward me reçu, puis m'accompagna jusqu'à la bibliothèque et ouvrit la porte qui menait aux annales de la faculté.

Voici la liste des livres consultés par votre parent. Vu la nature des ouvrages et le danger latent, je ne puis que vous mettre en garde mon jeune ami !

 

Sur ces paroles sentencieuses il s'en fut. je passai de nombreuses heures à compulser de vieux grimoires poussiéreux. Outre le Nécronomicon, Josh avait consulté un curieux livret verdâtre intitulé "Aqua-Nigra" par le Franciscain José-Luis Duaparco - 1866 - Culte particulier des Indiens Nt'lcoatical. Le moine avait été envoyé pour évangéliser d'éventuels hérétiques". Mais Duaparco, fort cultivé, voyait là, une perspective d'enrichissement scientifique et ethnographique. On apprenait seulement qu'au lieu de convertir, l'homme s'était perdu dans des pratiques impies et avait disparu , suivi par l'étrange peuplade. Toute la partie concernant les cérémonies et pratiques religieuses avait été arrachée. Un point cependant retenait mon attention, une sorte de mise en garde, griffonnée à la hâte, d'une écriture tremblée :

"Du limon originel il viendra nous happer, car il est le début et plus encore la fin".

Je décidai alors de rentrer, convaincu que la solution ne me serait donnée qu'à à la tour. Aidé de Marcus, nous pénétrâmes dans l'énigmatique clocher. Tout y était semblable à mon rêve; je réitérerai chaque gestes de ma première incursion. Là-bas le sol disjoint, puis la trappe. Quelle ne fut pas ma surprise de la voir ouverte, ainsi qu' un tombeau profané. Je me hasardais jusqu'au seuil du laboratoire. Une voix geignarde retentit :

- Non, n'approche pas je t'en conjure, il est trop tard pour moi !

J'étais irrésistiblement attiré vers lui.

Un ignoble clapotis semblai répondre à l'écho de mes pas. Dans la pénombre je finis par découvrir mon oncle recouvert d'un mucus gluant. Seul son visage émergeait encore de cette masse gélatineuse.

- Oh ! se lamenta-t'il encore, des générations de gardiens, tant de surveillances anéanties par ma cupidité ! Combien d'Hommes ont ils été tentés d'un pacte avec le diable ? Mon pauvre ami j'ai fait pis que cela; plus que mon âme, j'ai vendu l'Humanité aux Grands Anciens. Tu sais petit, notre famille a eu, autrefois, l'immense privilège de servir les divinités stellaires dans la lutte contre les Anciens Dieux. Notre famille à toujours pratiqué la magie. J'avais pour ce faire fait creuser un bassin qui devait recréer les conditions de vie des créatures amphibies décrites dans l'"Aqua Nigra".

- Obtenir leur ancien savoir de nécromanciens, leur puissance, voilà tout ce qui m'importait ! Au début rien de très concluant, la cuvette avait été remplie d'un liquide amniotique ambré. Après moultes incantations, une brume rosâtre se forma au dessus du fluide, accompagnée d'électricité statique. Le phénomène dura près de 15 jours et cessa brutalement. Imagine un instant ma déception, si j'avais su. La solution s'était alors escamotée pour laisser place à une vaste ouverture. La vasque servait en fait de sas de communication, une sorte de point de réémergence.

Andrew regarda à son tour en direction du gouffre . Celui-ci semblait si vertigineux qu' il fut pris de nausée.

- Mon Dieu, C'est empli d'étoiles.

- La chose, dit le vieillard, TSATHOGGUA va se repaître de toi, corps et âme. J'étais las, trop abasourdi par l'ampleur de la situation, paralysé par la peur, les contradictions. Une puissante éructation me fît sortir de ma torpeur.

Par le "puits" sortait une espèce de griffe palmée, puis une tête infâme aux contours imprécis, nantie de protubérances oculaires multiples. Le tronc vaguement anthropoïde était supporté par deux "poteaux" verdâtres aussi épais que rudimentaires. L'ensemble de l'entité était masqué par un brouillard visqueux et malsain.

Malgré les dimensions relativement modestes de la crypte, le "batracien" grandissait à vue d'œil, dilatant la structure même des lieux. La gélatine qui avait été Joshua coassa faiblement :

FUi Ui Ndy Ho !F Ui.

Comment suis-je sorti de ce lieu maudit ? Je crois que c'est le brave vieux Marcus qui m'a tiré brutalement hors de la cave. Le reste n'a été qu'une fuite éperdue sans grand intérêt. Le serviteur est rentré avec moi en Ecosse. Martha l'a accueilli avec chaleur. Sa présence nous a rassuré tous deux. Plusieurs mois ont passés. Hier matin j'ai découvert, avec anxiété, deux empreintes circulaires au pied de la maison. Marcus s'est chargé de mettre en sécurité ma femme loin d'ici.

Cette nuit une brume épaisse et huileuse stagne sur le port. Pour mon grand malheur je connais l'Innommable.......

UN GARGOUILLEMENT DERRIERE LA PORTE DE MA CHAMBRE,- DU LIMON ORIGINEL IL VIENDRA NOUS HAPPER, MON DIEU, YA YA SHUDEL MEL. NON ! NON !...FFFFFFHHHHHHSSSSSSHHHHHRRRRR.

FIN ã AdeM Déc. 93

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