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Nouvelle de H. P. Lovecraft

Dans le crépuscule moite, je montai donc les degrés de pierre usés par les siècles jusqu'au dernier, et ensuite, entamai la dangereuse ascension en m'aidant de saillies précaires aux jointures des Pierres. Épouvantable, affreux et lisse, ce puits de pierre morte, un puits d'encre, fissuré, désert, sinistre avec ses chauves-souris étonnées dont j'éveillais les ailes silencieuses. Mais plus affreuse et plus angoissante encore la lenteur de ma progression ; car j'avais beau monter et monter, au-dessus de moi l'obscurité ne s'éclaircissait point ; une nouvelle terreur grandit en moi, celle que suscite la pourriture maudite et vénérable. Des frissons m'ébranlaient et je me demandais pourquoi je n'atteignais pas la lumière ; j'aurais baissé les yeux si je l'avais osé. J'imaginai un moment que la nuit devait être tombée d'un coup sur moi ; en vain, de la main, je tâtonnai pour essayer de rencontrer l'embrasure de la fenêtre par laquelle je pourrais me pencher et savoir à quelle hauteur j'étais déjà parvenu.

Mais tout à coup, après plusieurs éternités passées à me traîner collé à la paroi de ce précipice concave et affolant, ma tête heurta quelque chose de dur, et je compris que je venais d'atteindre le toit ou tout au moins quelque palier. Toujours dans le noir, je levai une main et tâtai l'obstacle. Je m'aperçus qu'il était de pierre, et immuable. C'est alors que j'entrepris cette aventure odieuse, faire le tour du donjon, m'accrochant aux faibles prises que m'offrait la muraille grasse ; finalement ma main, à force de quêtes sentit en un endroit l'obstacle remuer. Je me hissai, poussant de la tête la dalle ou la porte, car je me retenais des deux mains dans cet effort délirant. Aucune lumière ne se coula par la fente, et mes mains une fois glissées de l'autre côté de la surface, je compris que mon ascension était, cette fois, terminée. Car cette dalle servait de trappe, permettant d'accéder à une aire de surface plus grande que celle de la tour, en bas ; c'était certainement le plancher d'une vaste chambre de guet. Je m'introduisis lentement par l'ouverture, et voulus essayer d'empêcher la lourde dalle de retomber en place, mais échouai. En me laissant tomber sur la pierre lisse, j'avais à l'oreille l'écho sonore de sa retombée ; j'espérai que le moment venu, je pourrais de nouveau la forcer.

M'imaginant alors à une hauteur prodigieuse, bien au-dessus des plus hautes branches de la forêt maudite, je me redressai lourdement et fouillai la nuit de mes mains, à la recherche de fenêtres afin de pouvoir, pour la première fois, poser les yeux sur le ciel, la lune et les étoiles dont m'avaient parlé mes livres. Mais sur tous ces points je fus déçu : car tout ce que je rencontrai, ce furent d'interminables alignements de profondes étagères de marbre, chargées de longues et inquiétantes boîtes que je touchai en frissonnant. Et je réfléchissais, et je me demandais de plus en plus quels étaient donc ces innommables secrets qu'enfermait depuis des temps et des temps cette pièce retranchée du château. Par surprise, mes mains sentirent l'embrasure d'une porte fermée par un vantail de pierre sculpté de ciselures étranges. Je voulus l'ouvrir ; elle était bien close. Dans un ultime sursaut de volonté, je m'acharnai et sentis finalement le battant venir à moi. Et c'est alors que me vint la plus pure extase que j'aie jamais connue ; brillant calmement derrière une grille aux contours élaborés, au-dessus de quelques marches surplombant la porte que je venais d'ouvrir, je vis la lune, pleine, radieuse, telle que je ne l'avais jamais vue hors de mes rêves et de vagues visions que je n'osais baptiser du nom de souvenirs.

Croyant avoir atteint la cime dernière du château, je me précipitai en haut de ces marches, de l'autre côté de la porte. A ce moment précis, la lune fut voilée d'un nuage. Je trébuchai, et cherchai de nouveau, lentement, mon chemin dans la nuit. Il faisait encore très sombre lorsque je parvins à la grille que je palpai avec soin ; elle n'était pas fermée à clef, mais je ne l'ouvris pas, crainte de tomber du haut de l'altitude inimaginable à laquelle je devais me trouver. La lune sortit.

Le plus démoniaque de tous les chocs vous vient de l'inattendu le plus insondable ou de l'impensable le plus fou. Rien que j'eusse jamais connu ne pouvait se comparer à la terreur qui m'emplit au brusque spectacle que j'eus devant les yeux, et au sentiment des mystères qu'il impliquait. Le spectacle en lui-même était aussi simple que paralysant. et ce n'était rien d'autre que ceci : au lieu d'un panorama vertigineux de sommets d'arbres s'étendant au pied d'une hauteur sublime, ce que j'avais devant moi, à mon niveau, de l'autre côté de la grille, ce n'était rien d'autre que le sol, la terre ferme, peuplée en cet endroit de dalles de marbre et de     FancyRt.gif (1273 octets)

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