The Outsider

Nouvelle de H. P. Lovecraft

colonnes, à l'ombre d'une vieille église de pierre dont la flèche ruinée rutilait comme un spectre sous la pâle lumière de la lune. A moitié conscient, j'ouvris la grille et titubai sur le sentier de gravier blanc qui partait dans deux directions. Mon esprit, noyé par le choc et le chaos, était toujours rongé du besoin de lumière ; le fantastique mystère lui-même qui venait de surgir ne réussit pas à lui faire oublier son objet, à infléchir la course de mon destin. Je ne savais pas, et ne m'en souciais pas, si j'étais aux prises avec la folie, le rêve ou la magie ; mais j'étais plus que jamais déterminé à contempler la clarté et la joie, quel que dût en être le prix. Je ne savais ni qui j'étais ou ce que j'étais, ni l'endroit où je pouvais me trouver ; mais je continuais à marcher en aveugle, devant moi, et en même temps se levait lentement dans mon esprit une sorte de souvenir latent aussi bien qu'horrible qui soustrayait au hasard le choix de ma route. Par une arche, je quittai ce domaine des dalles et des colonnes, et m'aventurai dans la campagne ouverte, suivant parfois la route visible mais parfois la quittant aussi, bizarrement, pour traverser des prés où des ruines sporadiques signifiaient la présence oubliée d'un chemin d'autrefois. A un certain moment, il m'en souvient, je traversai à la nage un fleuve rapide, à l'endroit où d'antiques piles de maçonnerie moussues et ruinées demeuraient les seuls vestiges en cet endroit d'un pont depuis longtemps disparu.

Deux heures au moins s'écoulèrent avant que j'eusse atteint ce qui devait être mon but, un château vénérable couvert de lierre, au sein d'un parc cerné d'un bois épais, atrocement familier et pourtant empreint pour moi d'une incompréhensible étrangeté. Les douves étaient pleines, et plusieurs des tours trop connues étaient démolies, tandis qu'on avait édifié de nouveaux bâtiments, de nouvelles ailes, pour confondre le spectateur. Mais ce que je vis avec le plus d'intérêt et de joie, ce furent les fenêtres ouvertes, merveilleusement scintillantes de lumières et d'où me parvenaient les sons dune fête joyeuse. M'avançant vers une porte-fenêtre, je regardai à l'intérieur , j'aperçus une compagnie aux atours curieux en train de s'amuser, de rire et de s'ébattre bruyamment. Sans doute n'avais-je jamais entendu le son de la voix humaine, car je ne compris que vaguement ce qui se disait. Certaines des têtes semblaient avoir des expressions qui réveillaient en moi des évocations et des souvenirs incroyablement anciens ; d'autres personnes m'étaient totalement étrangères.

Je pénétrai par cette porte dans la pièce brillamment illuminée, et, ce faisant, passai au même moment, de l'espoir le plus heureux aux convulsions du désespoir le plus noir, à la prise de conscience la plus poignante.

Le cauchemar s'empara immédiatement de moi ; dès que j'entrai, j'assistai à l'une des manifestations les plus terrifiantes qu'il m'ait jamais été donné de voir. A peine avais-je passé le seuil que s'abattit sur toute l'assemblée une terreur brutale, que n'accompagna pas le moindre signe avant-coureur, mais d'une intensité impensable, déformant chaque tête, tirant de chaque gorge ou presque les hurlements les plus horribles. Tout le monde s'enfuit aussitôt, et dans les cris et la panique, plusieurs personnes tombées en convulsions furent emportées loin de là par leurs compagnons affolés. J'en vis même plusieurs se cacher les yeux de leurs mains et courir de la sorte, aveugles et inconscients, se cognant aux murs, aux meubles, avant de disparaître par l'une des nombreuses portes de la salle.

Ces cris me glacèrent; et je restai un moment comme paralysé dans la clarté éblouissante de cet endroit, seul, incrédule, gardant à l'oreille l'écho lointain de l'envol des convives terrifiés, et je tremblais à la pensée de ce qui devait rôder à côté de moi, invisible. Au premier coup d'œil rapide que je jetai, la pièce me parut déserte, mais en m'approchant de l'une des alcôves, j'eus l'impression d'y deviner une sorte de présence, l'ombre d'un mouvement derrière le cadre doré d'une porte ouverte qui menait à une autre pièce assez semblable à celle dans laquelle je me trouvais. M'approchant de cette arche, je perçus plus nettement cette présence, et finalement, tandis que je poussais mon premier et dernier cri -une ululation spectrale qui me crispa presque autant que la chose horrible qui me, la fit pousser - j'aperçus, en pied, effrayant, vivant, l'inconcevable, l'indescriptible, l'innommable monstruosité qui, par sa simple apparition, avait pu transformer une compagnie heureuse en une troupe craintive et terrorisée  .FancyRt.gif (1273 octets)

       

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